Le spectacle est terminé. Tout peut commencer!
Шанталь де Реддер | Positif | December 1989 | очерк1989_Positif_02

Dans une superbe salle  du XVIII siècle de la Maison du Peuple de Leningrad, une centaine de jeunes gens se sont réunis pour discuter de la création d’une « académie de la nouvelle culture ». L’underground aspire à la lumière. La journée d’aujourd’hui est consacrée au cinéma parallèle. Boris Yhonanov, 31 ans, cheveux hirsutes, vêtements noirs et bottes de cosaque, explique à l’auditoire que la vidéo est sa drogue préférée, tout en filmant la salle avec sa caméra. Il prépare une vidéo-roman qui occuperait des centaines de cassettes.

En 1985, à Moscou, il monte une version rock du « Misanthrope » pour le célèbre théâtre de la Taganka. La direction le vire en le traitant de "Beatle». Faute de mieux, il décide de jouer la pièce dans la rue. Ça se termine en happening avec enterrement de Molière dans les poubelles municipales. «Après, toute la troupe s’est tirée à Leningrad pour rejoindre le territoire libre de l’underground. » Dans son squatt, il organise un spectacle halluciné qui se termine en drame : un acteur, pris d’une inspiration subite, monte sur les toits en déclamant un poème de Brodsky. Il glisse et se fracasse par terre. « Messieurs-dames, conclut Boris, le spectacle est terminé. Tout peut commencer ! » La perestroïka démarre à peine.  Yhonanov et sa troupe repartent à Moscou. Demain? "Je ne veux plus fuir le système. Et je ne renoncerai pas à être moi-même. Si je ne peux pas exister ici, je me tirerai une balle dans la tête. J'ai déjà fait mon testament..."

Le "cinéma parallèle", pendant non-officiel de l'Ecole tarkovskienne, sе pratique en dehors des studios, sans le soutien ou l'autorisation de Goskino, par des cinéastes tels YevgeniJ Yuflt à Leningrad et Boris Yukhananov et les frères Gleb et Igor Alennikov à Moscou. Yufit, fondateur de l'école de "nécro-réalisme", essaie de donner forme sur l'écran à sa conviction que nоs sociétés vont vers une forme de vie qui est fondamentalement invivable.

Vepri suitslda (Les sangliers du suicide, 1987) et Vesna (Le printemps, 1987) sont des courts-métrages tournés en 16 mm dans lesquels la prédilection particulière de Yufit pour le grotesque, le répulsif et le dégoûtant se lie à l'irréverence, l'auto-ironie et la spontanéité qui caractérisent le cinéma parallèle en général. Yukhananov, qui essaie surtout d'exploiter des possibilités esthétiques spécifiques du vidéo, est particulièrement à l'aise avec une durée de 150 à 180 minutes et ne cache pas son axhubérante envie de provoquer ses spectateurs au moyen de l'ennui. Ses réalisations, telles Sumasshedshij prlns (Le prince fou, 1987) et Sumasshedshij prins Fassbinder (Fassbinder, le prince fou, 1988), pleines de Joyeuses transgressions des lois de la construction narrative classique, sont souvent à la fois drôles et agaçantes, ennuyeuses et attachantes. Les frères Alennikov, avec un sens d'humour plus froid et distancié, portent un régard cynique et désinvolte sur divers aspets de la vie contemporaine. Dans leur court-métrage Trahtora (Le tracteur, 1987), même ce sacrosaint symbôle archétypique du socialisme est soumis au ridicule. Après avoir réalisé de nombreux courte-métrages en 16mm, les frères Alennikov ont récemment complété au studios de Mosfilm un moyen-métrage en 35mm, Zdes ktoto bil (Quelqu'un a passé par Ià, 1989), reflection sur l'absence et la présenсe qui est en mème temps une parodie de ce genre de réflection.

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